arcanes  (sélection)

tirages photographiques en vue d’une éventuelle utilisation divinatoire

 

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   Au fond les disciplines divinatoires s’occupent de deux choses distinctes : d’une part la production ou la recherche de signes, et de l’autre leur interprétation. Pour infini d’imagination et de culture que soit cette dernière, qui comme toute interprétation digne de ce nom ne connaît pas de fin déclarée, la part de beauté, l’endroit où toute volonté se trouve suspendue, cet instant de grâce hasardeuse, vraiment cette trêve artistique est réservée au signe. Lancer de pierre géomantique, tirage des cartes, coulures de café, entrailles d’animaux, tous ces signes ont en commun la perfection de leur apparition, comme est parfaite la répartition des feuilles sur la branche et des branches sur l’arbre. Ils sont tout aussi bien des productions de la nature. Des « productions de la nature au travers de l’Homme », pour parler avec Goethe et Webern.

   Pour ma part je ne peux pas interpréter, je n’ai pas les capacités de cela, et à vrai dire je ne tiens pas à les acquérir. Je me concentre sur la production de signes dont j’ignore la signification, mais dont je m’occupe à surveiller la justesse. On peut reconnaître, si on est un peu entraîné à ce genre de choses, la bonne orthographe de mots d’une langue qu’on ignore.

   Je tire ces photos exactement comme on tire un tarot, à cette différence donc près que je ne fais rien du résultat, mais je veux bien croire que c’est une différence mineure, si l’on s’en tient à cette idée que tout objet devenu utile s’est paré de vulgarité. « Capter, capter d’abord, écrivait Breton, soumettre ensuite, s’il y a lieu, au contrôle de notre raison . » Il convient peut-être de revenir de temps à autre à l’essence la plus profonde de ce qu’était la photographie à sa naissance, non pas tant attestation du visible que révélation de l’invisible. Röntgen plutôt que Daguerre. Le contrôle du tirage photographique, le contrôle sans cesse croissant, la maîtrise des mécanismes chimiques ont signé la mort de l’âme, de la fascination et de la nuit. On a fait parler les corps et taire les âmes. Les  peintres et aussi les musiciens savaient cela : « Si on sait exactement ce qu’on va faire, à quoi bon le faire ? » Peut-on à nouveau tirer les photographies comme on tire les cartes : sans se douter de ce qu’il en sortira ? La puissance photographique c’est qu’elle ne distingue pas le prévu de l’imprévu, le réussi du raté, selon l’expression de Hermann Vogel (Leipzig 1874) tout lui est égal. Barthes a magnifiquement (évidemment) définit la notion de « ça a existé », le principe d’attestation qui ferait l’essence même de la photographie. C’est très bien, mais cela demeure une déclinaison plus ou moins élaborée du principe de vantardise. Variation sur le thème du « j’ y étais ». La plus belle attestation ne serait-elle pas enfin celle de l’acte qu’on ignore ? Ramener témoignage de ce qu’on n’a pas vu. Plus tard l’interprétation, vraiment c’est un autre problème. Le titre, toujours en dernier. D’abord l’image, après le sujet.

François Salès

 

    

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